lunes, 2 de julio de 2012

PRÉSENTATION DE CRISE DU SIGNE PAR HENRI MESCHONNIC


Discours prononcé par Henri Meschonnic à Saint Domingue, dans la salle “Manuel Simó” du Conservatoire National de Musique, le 28 avril 2000, lors de la présentation du livre Crise du signe. Politique du rythme et théorie du langage / Crisis del Signo. Política del ritmo y teoría del lenguaje [édition bilingue traduite par Guillermo Piña-Contreras, Santo Domingo, República Dominicana, Comisión Permanente de la Feria del Libro, 2000], organisée dans le cadre de la célébration de la Foire du Livre par Diógenes Céspedes et José Rafael Lantigua.

 
Il y a de temps en temps des surprises, des bonheurs : on parle des bonheurs de l’écriture, il y a aussi des bonheurs de la pensée, c’est-à-dire, tout d’un coup de se rendre compte qu’on pense quelque chose pour la première fois … que ça n’a jamais été pensé … et ça c’est un très grand plaisir et, d’une certaine façon, je dirais il y a un très grand érotisme de la pensée ; il n’y a pas à ajouter de l’érotisme à la pensée : la pensée est déjà en elle-même quelque chose de très très érotique parce que c’est inséparable de la vie et donc du sens de la vie et de l’amour de la vie. Il n’y a pas d’un côté la pensée et de l’autre côté la vie, c’est comme ces écrivains qui croient qu’il y a la vie d’un côté et puis l’écriture à côté. Non, ça c’est vraisemblablement un très mauvais signe à la fois pour leur vie et puis pour leur écriture.

Alors, le livre de l’an dernier Para la poética était le premier, c’était l’un des deux premiers …. parce qu’en même temps il y avait ce livre de réflexion mais la réflexion ne précède pas la pratique ; il n’y a pas non plus la pratique qui précède la réflexion parce que ce serait une très mauvaise pratique certainement – on aurait du mal à acheter un meuble à un menuisier qui ferait son meuble et qui réfléchirait après à la façon comment il faut faire un meuble –, donc la réflexion et la pratique sont inséparables. … Et, donc en même temps que sortait Pour la poétique, en 1970 sortait un ensemble de traduction Les cinq rouleaux et un livre de poèmes presque tout de suite après. Ce qui pour moi symbolise l’impossibilité de séparer … si on sépare on ne comprend rien … l’impossibilité de séparer la poésie, la traduction et la réflexion sur le langage. Alors ce livre qui vient de sortir il y a même seulement quelques minutes – parce que ni Guillermo, ni moi, ni Diógenes, personne ne l’avait vu avant il y a quelques minutes, donc c’est un livre vraiment tout nouveau, c’est un livre qui effectivement vient d’être écrit, c’est de maintenant, maintenant-maintenant – c’est vrai que son point de départ c’était une conférence de l’an dernier. Il se termine sur un manifeste concernant le « parti du rythme ».

Alors Guillermo parlait de synthèse et c’est vrai que … le travail, je crois, se présente d’une manière très claire parce qu’il n’y a aucun hermétisme dans la pensée, ce n’est pas quelque chose d’obscur ou de difficile. On dit toujours que la pensée c’est difficile comme si, à côté, la poésie c’était facile ; et, cette opposition entre le facile et le difficile c’est déjà quelque chose qui demande à réfléchir. D’ailleurs dans un de mes livres La rime et la vie, il y a tout un chapitre sur « qu’est-ce qu’on appelle facile ? » et « qu’est-ce qu’on appelle difficile ? ». La notion du facile et la notion du difficile, non seulement varie d’un individu à l’autre mais elle varie aussi d’une époque à l’autre. Il y a un poète français du XVIe siècle, Maurice Scève, qui est un merveilleux poète et qui a été oublié pendant trois siècles parce qu’il semblait extrêmement difficile ; et, quand on le réédite pour la première fois en 1828, on cite certains de ses poèmes comme des monstruosités de difficultés : en fait, si on regarde ce qui s’est passé en cent ans, entre 1828 – le moment où Sainte-Beuve republie Maurice Scève – et environ 1920, il y a eu toute une série d’études et on voit très bien que la façon de lire et de comprendre a changé, si bien que ce n’est plus du tout un poète difficile. Moi, j’ai lu ce poète quand j’étais adolescent, je ne savais rien de tout ça ; ça ne m’a jamais paru difficile. Quand on réfléchit sur cet exemple on voit bien que ce qui est difficile c’est de comprendre pourquoi et comment quelque chose a pu paraître difficile. Donc c’est une notion culturelle historique et ça n’a aucun sens de dire que la poésie est facile et que la pensée est difficile ni réciproquement. Ce qui est facile en réalité c’est ce à quoi on est habitué ; par exemple, en ce qui concerne le langage on est habitué depuis environ deux mille cinq cents ans à regarder le langage d’une manière discontinue. Discontinue, c’est-à-dire qu’on comprend le langage comme s’il était fait d’unités séparées les unes des autres, hétérogènes les unes aux autres. Les mots sont des unités séparées et, à l’intérieur de chaque mot, la manière classique de regarder le langage c’est de reconnaître qu’il y a du son et du sens : le son change selon chaque langue, le sens change beaucoup moins, mais il y a une hétérogénéité radicale entre le son et le sens – sauf pour une certaine manière très naturiste, si je peux dire, de regarder le langage comme s’il y avait un rapport de nature entre le son et le sens dans un mot ; mais ça c’est tout à fait exceptionnel, ça c’est vrai des onomatopées mais la plupart du temps ce n’est pas vrai. En tout cas c’est l’idée acceptée, c’est l’idée moyenne, sans entrer dans le détail de l’histoire de la pensée du langage –. Et donc le son et le sens sont sans rapport l’un avec l’autre. Ça c’est le discontinu, c’est un exemple de discontinu. Les mots sont discontinus entre eux, les phrases sont discontinues entre elles et, de toute façon, après une phrase il y a encore une autre phrase et encore une autre phrase ; donc si vous prenez la notion de mot, la notion de son, la notion de sens, la notion de phrase, c’est avec ces notions-là qu’on réfléchit sur le langage, qu’on croit que le langage est fait : c’est ça le discontinu. Et tout mon travail consiste à essayer de reconnaître que dans le langage il y a aussi du continu pas seulement du discontinu. Bien sûr, il y a du discontinu : il y a des mots, il y a des sons, il y a des sens, etc. … ça c’est un point de vue, ce n’est pas la nature des choses ; mais ce point de vue se présente comme la nature des choses … et moi j’essaie de montrer, de démontrer que ce n’est pas la nature des choses, que c’est seulement un point de vue et que ce point de vue nous rend ignorants d’une autre réalité qui est aussi dans le langage et que j’appelle le continu … et « qu’est-ce que c’est le continu » ? … eh bien, c’est tout une série de choses que j’explique dans ce livre …. et c’est extrêmement facile … ce n’est pas difficile … parce que nous sommes faits de continu autant que de discontinu … Et « qu’est-ce que c’est le continu » ? … et bien c’est d’abord le continu entre le corps et le langage.

Le continu entre le corps et le langage c’est très connu des psychologues du comportement depuis longtemps. En ce qui concerne le langage parlé – et là je parle immobile parce que je suis obligé de tenir un micro mais normalement je parle avec les mains aussi – j’ai besoin de mes mains pour parler et, de toute façon, j’ai besoin de mon visage pour parler .... L’intonation est aussi déjà une sorte de gestuelle de la voix, un geste de la voix en plus tout ça c’est très individuel ... Personne n’a la même voix et chacun n’a pas la même voix selon les émotions, etc. … Et on a besoin du visage pour se parler, on a besoin de se voir pour se parler (c’est beaucoup plus difficile si on se tourne le dos …). Alors tout ça, c’est très connu. Le problème commence quand on se pose la question « qu’est-ce qui reste du corps dans le langage écrit et en particulier dans la littérature » ? Et d’abord, il faut se demander si cette question a un sens, parce que dans le langage écrit sur une page imprimée ou écrite à la main il n’y a pas de viande – il n’y a que dans Le Marchand de Venise de Shakespeare qu’on demande la livre de viande –. On n’a pas besoin de viande dans un poème, il n’y a pas non plus de neurones dans un poème, de même qu’il n’y a pas de poèmes dans le cerveau : dans le cerveau il y a des neurones, il n’ y a pas de poèmes. Alors là, je fais allusion à tout un aspect du scientisme contemporain : ça s’appelle techniquement le « cognitivisme », qui justement essaie de faire le lien entre la biologie et la science du langage. Mon point de vue là-dessus – et tous les linguistes que je connais effectivement, je pense, sont du même avis – : on est encore très loin d’avoir une théorie unitaire qui aille de la biologie à la théorie du langage. Alors pour l’instant, provisoirement, je considère que je me passe de la biologie pour penser le langage et que le langage est un objet de pensée qui relève beaucoup plus de l’histoire que de la biologie. Et, de toute façon, là on est tout de suite dans le problème de la définition de la vie : « est-ce que la définition de la vie est biologique ou est ce qu’elle est historique » ? Eh, évidemment c’est une question de point de vue. En ce qui concerne la vie humaine, une vie humaine n’est humaine que si elle est historique sinon effectivement c’est de la viande, de la viande de boucherie – ce que Unamuno appelait « ganadería » –. Alors à part la viande de boucherie, l’être humain est un être historique ; et si on prend la question du rapport entre le corps et le langage, je ne vois qu’une possibilité de penser un accord entre le corps et le langage : sortir de ce que j’appelle le « signe ». Le signe c’est le rapport entre du son et du sens comme hétérogénéité radicale. C’est tout le modèle du langage que je résumais tout à l’heure, du son, du sens, des mots, des phrases et des langues qui sont hétérogènes entre elles. Tout ce modèle de l’hétérogénéité nous le connaissons assez bien. Je ne dis pas qu’il faut, qu’il serait possible de s’en débarrasser : le problème c’est d’essayer de penser ce que ce modèle empêche de penser. Il nous empêche de penser le continu entre un corps et un langage sous la forme de la question suivante : « qu’est-ce qu’un corps fait au langage » ? C’est là qu’intervient la littérature – et la poésie peut-être plus fortement – mais pas uniquement par rapport à tout ce qui est littérature.



De toute façon, quand je dis la « littérature », il ne faut pas confondre n’importe quoi d’écrit dans le marché des livres avec de la littérature. Le problème de la littérature, le problème de la poésie pose immédiatement la question du rapport entre sa définition et sa valeur. Et, c’est là qu’on a besoin de penser une théorie d’ensemble. Alors, je disais « qu’est-ce qui peut être le représentant du corps dans le langage » ? … je ne vois pas d’autre représentant du corps dans le langage que le rythme … c’est ce que j’ai fait dans un livre d’il y a plus d’une dizaine d’années Critique du rythme / Critica del ritmo, – je constate que ça n’a pas encore été traduit sauf en brésilien, je crois, au Brésil, ça vient d’être traduit –. Mais, bon, le problème du rythme, c’est la même chose que le problème du signe. Si on réfléchit sur le signe, c’est-à-dire le signe linguistique, il est composé de deux choses radicalement hétérogènes l’une avec l’autre : le son d’un côté, le sens de l’autre. Si on prend la définition classique du rythme : c’est pareil, c’est aussi un composé de deux éléments hétérogènes, un temps fort et un temps faible – ou bien le même et le différent – eh … c’est sa définition la plus générale. Prenez tous les dictionnaires et toutes les encyclopédies que vous pouvez trouver de toutes les langues que vous connaissez : c’est pour ça que dans Critique du rythme je me suis amusé à regarder les définitions qu’on en donnait. J’ai constaté que toutes les définitions sont toujours la même chose : c’est le même et le différent. Alors, le problème ici, c’est celui du consensus. Vous savez très bien qu’il y a eu une époque où tout le monde pensait que la terre était plate ; mais ce n’est pas parce qu’on pensait que la terre était plate qu’elle était plate. Eh donc, le consensus est une immense tautologie ; le consensus c’est-à-dire si tout le monde pense la même chose, ça ne prouve qu’une chose : ça prouve que tout le monde pense la même chose. Ça ne prouve pas que ce que l’on pense est vrai. Et, c’est pareil selon chaque thème de réflexion …. Alors, concernant le rythme dans la recherche que j’ai faite : j’ai été amené à me rendre compte que la définition universelle du rythme, qu’on prend pour une définition naturelle, était faite sur le modèle des battements du cœur, des marées de la mer, de l’alternance du jour et de la nuit ; toutes ces alternances sont indiscutablement des alternances mais ça reste dans le discontinu de la définition traditionnelle … et si on regarde embibliquement le langage – et mon point de départ ici était la traduction des textes bibliques – on peut prendre conscience qu’on peut regarder le rythme, la notion de rythme, d’une tout autre manière : non plus comme une alternance du même et du différent, mais comme le mouvement de la parole dans le langage. Donc, je me passe provisoirement de l’universel du rythme : je ne réfléchis que sur le langage, c’est-à-dire que le rythme dans la musique, le rythme dans la peinture, dans l’architecture, etc. … ça demandera à être « ré-réfléchi » spécialement par les spécialistes … et pourquoi ? … eh bien, c’est parce que la définition universelle du rythme convient assez bien à beaucoup de choses surtout au rythme biologique, parfois aux rythmes sociaux … les cadences des ouvriers à l’usine, la marche militaire … très bien pour la marche militaire. Là où la définition traditionnelle du rythme convient le moins … c’est pour le langage. Ce qui est un symptôme … pourquoi ? … parce que cette définition est binaire : le même, le différent. C’est le même binaire que pour le signe du son et du sens … Et si on essaie de penser le continu dans le rythme on se rend compte que le continu dans le rythme ce n’est pas une alternance entre le même et le différent : c’est le mouvement de la parole dans le langage. Alors, à partir de ce moment-là, si on repense le rythme comme le mouvement de la parole on est dans le continu ; la notion de continu est aussi une notion linguistique. Le pluriel des choses qui se comptent … un chat, deux chats, trois chats / un lapin, deux lapins, trois lapins. Ça ce sont des choses qui se comptent … mais de l’eau et encore de l’eau, de l’eau de l’eau, plus de l’eau c’est toujours de l’eau ... Les linguistes et les logiciens savent très bien qu’il y a du continu et du discontinu. Alors, je pose que dans le langage aussi il y a du continu et, donc, dans le rythme il y a du continu et dans le fonctionnement du langage il y a du continu : c’est ce que j’essaie de penser … alors ça enclenche une réaction en chaîne … et c’est ça qui est très facile à suivre … et c’est ce que j’expose. Ce qui fait que ce livre est un livre très facile et pas un livre difficile : ce qui deviendra un jour très difficile c’est de se rendre compte qu’on a pu croire que le langage était fait de choses discontinues et que le rythme était fait d’éléments discontinus. Alors, « qu’est-ce que ça déclenche comme réactions » ? Eh bien, cela déclenche que si le rythme est le mouvement de la parole et si la chose écrite surtout quand c’est de la littérature, c’est-à-dire quand c’est une invention de pensée – et de ce point de vue je ne peux plus faire de différence, les différences seront secondaires entre la poésie, le roman, la philosophie – chaque fois qu’il y a une invention de pensée, je dirais que c’est cela la pensée : la pensée consiste à inventer de la pensée et le reste c’est du mantenimiento del orden c’est du maintien de l’ordre. Ce n’est pas de la pensée, ça ressemble à de la pensée, mais ce n’est pas de la pensée : c’est comme le Canada dry par rapport à la bière.

Quand on aura compris cela … eh bien on verra que la réaction en chaîne est la suivante : à partir du moment que le langage est compris comme un rapport entre le corps et le langage, on est amenés à réfléchir d’une manière nouvelle sur ce que c’est qu’un sujet parce que ce n’est pas le même sujet qui travaille dans un poème et qui fonctionne dans d’autres situations de la vie. Autrement dit, on est amenés à réfléchir contre la confusion entre la notion d’individu – qui est une notion disons sociologique – et la notion de sujet ; et on est amenés à se rendre compte qu’il y a toute une série de sujets … et il ne faut pas les confondre entre eux. Il y a le sujet philosophique, il y a le sujet psychologique, il y a le sujet du droit, il y a le sujet du bonheur, celui de Diderot dans l’Encyclopédie …. il y a toute une série de sujets, si je fais l’énumération – et là je ne vais pas la faire parce que vous allez vous endormir tout de suite si je fais l’énumération – ; je connais une douzaine de sujets : aucun de ces douze n’est ce que j’appelle le sujet du poème ou le sujet de l’art. Donc, j’ai besoin d’inventer un sujet spécifique qui est le sujet de l’art et le sujet du poème. À partir de là, la réaction en chaîne est la suivante : pour penser le langage dans l’ordre du continu j’ai besoin de penser l’art et la chose littéraire, c’est-à-dire ce qui fait la spécificité de la littérature … et ça demande un sujet spécifique … eh bien ce sujet … il est assez particulier. C’est un sujet éthique. Je dirais que ça tient dans une formule très simple : « est sujet celui par qui un autre est sujet ». Est sujet celui par qui un autre est sujet : à ce moment-là on se rend compte que réfléchir sur le langage, sur la poésie, cela suppose l’éthique … et si cela suppose l’éthique … eh bien … cela déclenche aussi le politique. Autrement dit, je suis amené à faire une critique de l’hétérogénéité non plus du signe seulement, non plus du rythme seulement, mais je suis amené à faire la critique de l’hétérogénéité des catégories mêmes de la raison … et parce que cette raison, cette rationalité, c’est la rationalité de ce qu’on appelle les Lumières, les encyclopédistes du XVIIIe siècle qui ont été à l’origine, qui sont à l’origine des sciences humaines et de toutes nos disciplines universitaires et de la séparation des disciplines universitaires entre elles … et je suis amené à faire la critique de cette séparation parce que cette séparation c’est exactement ce que dans les années 1930, les sociologues de l’école de Frankfort – en particulier Horkheimer – appelaient les théories régionales ou la théorie traditionnelle … à quoi ils opposaient la notion de théorie d’ensemble : théorie d’ensemble, comme théorie critique. C’est exactement ce que je propose comme mode de penser, c’est-à-dire de se rendre compte que par rapport à la séparation traditionnelle des sciences humaines des disciplines universitaires, il y a à penser l’interaction comme théorie d’ensemble du langage, de la littérature et de l’art, de l’éthique et de la politique.



Les spécialistes de la politique se moquent complètement de la poésie … les philosophes qui sont des spécialistes de l’éthique … sont des spécialistes de l’éthique … et généralement … la plupart du temps … ce sont des spécialistes de l’éthique tout seul ; un exemple en France : Levinas ... si on cherche une pensée du langage chez Levinas … immédiatement on constate qu’il n’y a pratiquement rien. Eh bien, le paradoxe c’est que, ce ne sont pas les spécialistes de la politique qui ont besoin de la poétique, ce ne sont pas les spécialistes de l’éthique qui ont besoin de la poétique, ce ne sont pas les spécialistes du langage, c’est-à-dire, les linguistes qui ont besoin de la poétique … mais si je travaille la poétique comme théorie d’ensemble : cela me mène à poser que c’est la poétique qui a besoin pour être de la poétique, qui a besoin de l’éthique, qui a besoin de la théorie du langage, et qui a besoin de la pensée de la poétique … ce qui fait qu’à partir de là, la pensée de la politique change, la pensée de l’éthique change, la pensée de l’art change, et la pensée du langage change, et … c’est une réaction en chaîne mais heureusement ce n’est pas la bombe atomique.
Alors tout cela vous l’avez là dedans … ce livre, c’est une affaire …
[Applaudissements]

[Meschonnic a fini son discours de présentation. Diógenes Céspedes, le modérateur de l’activité, demande au public de poser, s’il y en a, des questions à l’auteur. Plinio Chahín, poète, demande à Meschonnic d’éclaircir si sa critique concernant le dualisme du signe a quelque chose à voir avec « le plaisir de la lecture » évoqué par Roland Barthes et Lévi-Strauss « comme étant du domaine de l’esprit séparé du corps ».]

M. . D’abord Roland Barthes n’était pas Juif. Je disais que Roland Barthes n’était pas Juif. Oui, mais vous savez la pensée ne connaît pas la circoncision. La pensée est tout autre chose que la religion … et donc, la pensée est avant tout quelque chose qui s’oppose à l’absence de penser … le problème de notre tradition culturelle c’est précisément la séparation entre le corps et l’esprit : personne ne semble se rendre compte que la séparation entre le corps et l’esprit c’est la définition même du cadavre. La séparation habituelle entre jouissance corporelle ou jouissance spirituelle, cette séparation même, je ne peux que l’interpréter comme une absence de jouissance corporelle et une absence de jouissance spirituelle c’est-à-dire l’équivalent vivant du cadavre. Il y a des cadavres vivants, il y a des pensées qui sont des cadavres qu’on met dans la bouche dans ce cas là, je vous conseille de cracher !
[Rire]

[Andrés Merejo, informaticien venu exprès de New York pour assister à cette manifestation, demande à Meschonnic d’expliquer dans quel sens Spinoza refuse le dualisme qui sépare l’esprit et le corps].

M. : Je ne sais pas si j’ai bien compris, mais ce que je voudrais dire clairement c’est que j’essaie, ce que j’ai dit tout à l’heure qui résume, pas seulement, un projet, mais un travail concret qui est mené depuis une trentaine d’années qui est vérifié en ce sens, j’ai absolument besoin de la traduction : parce que la traduction est une vérification expérimentale de ce qui se passe dans le langage et du rapport entre le rythme et la pensée ; le rythme comme mouvement de la pensée … eh bien … ce travail est à l’opposé même de toute la tradition structuraliste des années 60/70, autrement dit, en fait, cela fait trente ans que je me bats contre les idées dominantes … et ces idées dominantes c’est le côté de Descartes. Ce n’est pas par hasard que je viens de terminer un livre sur Spinoza : je pense que les choses pourront beaucoup changer si on regarde les problèmes du langage non plus du côté de Descartes, du point de vue de Descartes, mais du point de vue d’une question que Spinoza n’arrête pas de poser … qui est : on ne sait pas ce qu’un corps peut faire … On ne sait pas ce qu’un corps peut faire … ce qui est une question que Deleuze a souvent reprise mais avec un point de vue dualiste, un point de vue qui est celui de l’hétérogénéité même du langage que je critique.
Donc, les références que vous faisiez à Roland Barthes, à Lévi-Strauss, tout ce structuralisme des années 60/70 et après, c’est le moment triomphaliste du signe … en ce sens, ça met en évidence à mes yeux combien le savoir est une chose momentanée, une chose extrêmement située … dans la mesure où chaque savoir est un savoir d’époque … Si on prend les linguistes, les linguistes du XIXe siècle … ou plutôt … les linguistes du XXe siècle ne savent plus ce que savaient les linguistes du XIXe siècle. On ne sait pas les mêmes choses, on ne s’en rend pas compte parce qu’on est persuadés avec une grande naïveté linéaire qu’il y a un progrès dans le savoir mais ce n’est pas vrai du tout : il y a des intermittences dans le savoir … mais ça c’est banal, ce qui est moins banal c’est que chaque savoir produit son ignorance. Si je prends, par exemple, c’est un exemple de linguiste – parce que professionnellement je suis linguiste, alors ce sont des exemples qui me sont plus familiers –, si je prends quelque chose qui a été très connu : qui est la grammaire générative de Chomsky … qui est une algébrisation du langage : c’est un savoir qui a produit énormément d’ignorance, c’est un savoir qui a produit une coupure entre la théorie du langage et la théorie de la littérature. Si vous parlez de littérature à un linguiste générativiste vous êtes disqualifiés tout de suite. Ce n’est pas sérieux la littérature, mais le langage est tout autant coupé de la société et bref, effectivement, c’est une algèbre et c’est un très grand appauvrissement conceptuel.
Si vous prenez la pensée du langage non seulement il y a des savoirs qui engendrent de l’ignorance mais, en plus, chaque savoir est une île sinon même un ghetto avec des effets sociaux de chefferie : c’est-à-dire qu’il y a des petits chefs et il y a ceux qui veulent plaire au chef …Les petits mondes universitaires fonctionnent beaucoup comme ça … ce qui fait que, par exemple, un linguiste générativiste ne sait même plus ce que c’est que l’anthropologie linguistique … l’anthropologie linguistique qui est pourtant, par exemple, quelque chose qui historiquement a été très important aux États-Unis avec Sapir et Boas. Ils ne savent plus grand-chose. Et, en plus, comme leur maître change de théorie tous les deux ans, la plupart du temps, ils sont occupés à courir après lui … ça les empêche aussi de penser évidemment. Alors, c’est contre cette compartimentation du savoir et c’est contre ce dualisme dans la pensée du langage et contre cette hétérogénéité entre les catégories de la raison que je pose que la poétique a affaire à un travail … donc un travail anti-structuraliste … un travail contre les idées reçues depuis une trentaine d’années. Voilà. Et c’est ce qui fait que je suis très heureux que ce livre Crisis del signo sorte ici à Saint Domingue … ce n’est pas par hasard que c’est ici … parce qu’il y a des gens comme Diógenes, comme Guillermo, comme Manuel Núñez et puis j’avais aussi un autre ami qui n’est pas là maintenant … [Meschonnic fait allusion à Manuel Matos Moquete] donc c’est des gens qui travaillent avec moi et qui connaissent mon travail … Ce n’est pas par hasard que ce travail sort ici et non pas aux États-Unis. Ce livre est un livre qui est bien ici, et ce n’est pas un livre américain parce qu’aux États-Unis … ils sont beaucoup trop occupés à lire Derrida et la suite … c’est-à-dire qu’ils sont dans la suite de Heidegger … et, effectivement, c’est quelque chose que je critique depuis très longtemps et c’est tout le problème de la critique.

La critique n’est pas la polémique. La polémique consiste à vouloir avoir raison : avoir raison c’est aussi avoir raison de quelqu’un c’est-à-dire avoir raison contre quelqu’un, autrement dit la polémique est une stratégie de domination sur l’opinion. Ce qui fait que, la plupart du temps, la polémique ne discute pas avec l’adversaire : la polémique préfère faire le silence sur l’adversaire …. cela j’ai pu le constater en trente ans dans beaucoup de bibliographie et dans beaucoup de travaux où mes travaux n’existent pas : ce qui montre ce que c’est la critique par rapport à la polémique. La critique, ce n’est pas la même chose que ce que je viens de définir pour la polémique : ce n’est pas une stratégie de domination sur l’opinion ; la critique c’est deux choses à la fois : l’exercice de reconnaissance des stratégies et des fonctionnements et, en même temps, l’exercice même de la liberté et de la pensée ; autrement dit, vous avez trois notions qui sont en réalité absolument solidaires : la notion de liberté, la notion de pensée et la notion de critique … chaque fois que vous avez, que vous pouvez constater une confusion entre la critique et la polémique, dites-vous bien que c’est mauvais, que c’est un mauvais signe par rapport à la liberté de penser.

Maintenant je rappellerais une vieille étymologie qui est amusante ici : si on prend la notion de philologie … eh bien … le premier sens en grec de philologos pour Socrate, par exemple, ce n’est pas du tout ce que le XIXe siècle en a fait : c’est-à-dire l’étude historique des langues et des textes, non ! Le philologos en grec : c’est celui qui discute, celui qui discute et celui qui n’est pas d’accord. Autrement dit, c’est la critique … donc tout cela c’est par rapport aux références que vous faisiez à Lévi-Strauss à Roland Barthes, qui est un homme très intelligent mais qui a écrit beaucoup de bêtises et voilà c’est toute une époque, cette époque est passée, il faut apprendre à vivre pas seulement avec le passé mais aussi un petit peu avec l’avenir.



[Manuel Núñez demande à Meschonnic d’approfondir son idée relative à « l’art de penser », à « la pensée comme art].
M. . Le problème c’est que vous avez mentionné tellement de philosophes que ça fait beaucoup de choses. Alors moi je vais vous dire c’est comme, vous savez, le conte du Petit Poucet dans la forêt, le Petit Poucet dans la forêt, voilà pour ne pas se perdre, il jetait des cailloux blancs … alors mes cailloux blancs à moi : c’est la question du langage, c’est-à-dire que je regarde chez tous les philosophes « qu’est-ce qu’ils font du langage » ? Si je regarde chez Marx … eh bien … je suis désolé : le langage, comme dans la tradition classique au XVIIe siècle, il le confond avec le discours … et c’est ce qui fait que, par exemple, il laisse tomber la philosophie du langage avec les philosophes du langage. Le résultat c’est qu’il n’y a pas de théorie du langage dans le marxisme, le résultat c’est qu’il n’y a pas de theorie du langage dans l’école de Frankfort – qui est une théorie critique mais quand même critique du marxisme mais dans une suite de Marx –. Alors il n’y a pas de theorie du langage chez Marx … et le résultat aussi c’est qu’il n’y a pas de theorie de l’art et de la littérature. Les conséquences ont été directement politiques : avec Lénine, la littérature de parti … et … on fusillait tout le reste. La littérature de parti c’est un instrumentalisme, c’est-à-dire que c’est encore le signe ; autrement dit – cette expression très très innocente apparemment, très banale – on se sert du langage pour communiquer. … Eh bien non, on ne se sert pas du langage, moi je peux me servir d’un stylo ou je peux me servir d’un marteau mais personne ne se sert du langage : parce que vous êtes langage, vous ne pouvez pas vous servir du langage. Mais, en revanche, vous pouvez vous servir des autres : c’est-à-dire, que vous en faites des instruments … la notion de « se servir de » n’est pas du tout innocente. Donc, vous voyez, dès qu’on réfléchit sur le langage, en fait, on est sur le terrain politique. Le problème de Spinoza est différent : c’est pour cela précisément que je viens de faire un travail sur Spinoza … c’est que, à l’opposé de Descartes, il refuse la séparation traditionnelle, l’hétérogénéité traditionnelle entre le corps et l’esprit … Cela ne suffit pas pour penser le langage et généralement ce qu’on a retenu de Spinoza c’est une critique du discours … effectivement le traité théologico-politique est une analyse de discours pour séparer la notion de sens et la notion de vérité : ce n’est pas la même chose la vérité et le sens. Mais, j’ai lu beaucoup de livres sur Spinoza : l’immense majorité dit qu’il n’y a pas de langage chez Spinoza, il n’ y a pas de question de langage et puis … quelques philosophes plus sérieux, nouveaux, travaillent le langage chez Spinoza … mais uniquement en étudiant des mots : tel mot, tel mot, tel mot … c’est très précieux, c’est très sérieux comme travail mais c’est fondé sur une immense erreur parce que le langage ce n’est pas des mots. Des mots, des mots, des mots ce n’est pas le langage. L’unité du langage c’est le discours … il y a une très belle phrase de Humboldt qui dit : « les mots ne précédent pas le discours, les mots procèdent du discours ». Donc, l’unité est née massive d’abord, l’unité c’est ce que vous dites … les mots ne sont que des unités reconstituées après coup et qui, d’ailleurs, ne sont pas les mêmes selon les langues. La notion de mot n’est pas la même en japonais et dans les langues européennes, sans compter qu’un mot en français ce n’est pas la même chose qu’un mot en allemand ; autrement dit, cette notion de mot est illusoire, en grande partie illusoire … je suis entré dans le détail simplement pour montrer que le critère de la pensée peut très bien être dans l’histoire de la pensée … la pensée du langage : autrement dit, je vais regarder chez vous ce que vous faites du langage et après je vous dirai qui vous êtes, et puis je le dirai à tout le monde.

Je pense que penser est un art … et que donc il y a des artistes de la pensée … et c’est une hypothèse qui mérite d’être explorée parce que si on regarde la pensée comme un art, d’abord cela amène à faire la distinction entre plusieurs modes de penser, cela amène à reconnaître qu’on mélange au moins trois choses différentes dans ce qu’on appelle avec un seul mot la pensée.

Je pose que la première activité de la pensée c’est d’inventer de la pensée. D’inventer une pensée, d’inventer quelque chose qu’on n’a jamais pensé avant. À ce moment-là, ça met sur le même plan tout ce qui est pensé dans tous les ordres de pensée : la pensée poétique – c’est-à-dire que la pensée poétique consiste à inventer quelque chose qu’on appellera un poème qui n’a jamais été écrit avant, qui n’a jamais été pensé avant comme ça –, la pensée philosophique – ce qui transforme la philosophie –, de même la pensée sociologique c’est ce qui transforme la sociologie … la pensée scientifique c’est ce qui transforme la science … et cela peut se dire spécialité pour spécialité … évidemment, quelqu’un qui invente quelque chose en chimie, il a une pensée de la chimie qui invente quelque chose. Bon, alors si penser c’est inventer de la pensée quel que soit le domaine de la pensée, immédiatement, ça paraît comme quelque chose de différent du commentaire ou de l’interprétation : c’est-à-dire qu’on est obligé de distinguer après cette définition de la pensée comme invention de la pensée, une autre activité de la pensée qui consiste à travailler à comprendre ce qui a été l’invention d’une pensée … on peut passer sa vie à travailler à comprendre ce que les premiers ont inventé.

De toute façon, l’humanité depuis des siècles et des millénaires n’arrête pas de continuer de travailler à comprendre ce que des gens ont inventé. Donc ça c’est une deuxième activité : travailler à comprendre.

Il y a une troisième activité qui consiste à expliquer aux autres ce qu’on a compris de ce que les premiers ont pensé … et s’il n’y a pas de rapport entre comprendre, expliquer et cette invention de la pensée, alors on est dans ce que j’ai appelé le maintien de l’ordre. Le maintien de l’ordre suppose que les idées soient arrêtées … vous savez ce qui arrive à une idée qui, arrêtée, elle ne bouge plus puisqu’elle est arrêtée : c’est-à-dire que c’est une idée morte. Alors, le problème de la pensée comme art entraîne cette distinction … mais ça entraîne aussi autre chose qui se relie directement à ce que je mets dans ce petit livre, dans Crisis del Signo : c’est-à-dire l’interaction entre la pensée du langage et la pensée de l’art.
Moi, je ne suis pas philosophe, donc mon travail la plupart du temps consiste à regretter chez les philosophes de ne pas trouver ce que je voudrais y trouver : c’est-à-dire par exemple une pensée du langage. Eh donc, j’ai un rapport difficile avec la philosophie : c’est un rapport d’amour déçu, c’est comme avec la psychanalyse … c’est déjà, d’ailleurs, le sujet d’une comédie … autrement dit, il y a du comique dans la pensée. Il ne faut pas oublier le comique : il y a un très grand comique de la pensée … « le comique de la pensée, c’est quoi » ? Eh bien, c’est de pouvoir rire de ce qu’en général on ne voit même pas comme quelque chose de risible … et comme il est très égoïste de rire tout seul, immédiatement ce qui devient le travail de la pensée c’est de faire partager ce rire. Donc, il ne faut pas oublier le rôle du comique dans la pensée et dans l’histoire de la pensée. Alors, la pensée comme art, évidemment, suppose de réfléchir par exemple sur la peinture, sur la sculpture, sur les arts plastiques, sur le cinéma etc. ; or, « qu’est-ce qu’on constate aujourd’hui » ? On constate que nous sommes dans une civilisation mondialisée de la sémiotique, nous sommes dans une mondialisation de la sémiotique … et « la sémiotique, qu’est-ce que c’est » ? … La sémiotique est fondée sur la notion de signe, la sémiotique suppose un système de signe. Or, « qu’est-ce que vous pouvez tous constater » ? C’est qu’il y a pleins de travaux sur la sémiotique du cinéma, la sémiotique de la peinture etc. … tous ces braves gens n’ont pas réfléchi que l’art n’est pas fait avec des signes. Comment dire, ni au sens concernant les arts du langage, ni au sens du signe linguistique : parce que l’art commence là où le signe finit, parce que le signe est fait essentiellement, le signe linguistique, il est fait du discontinu, le signe linguistique est incapable de comprendre le continu. Le rapport entre le corps et le langage ou l’interaction entre la théorie du langage, la poétique, l’éthique, la politique tout ça c’est étranger au signe. Le signe a engendré une technologie du langage, la linguistique ; et c’est parce que la linguistique structuraliste a été un très grand moment de technologisation du langage … mais le langage c’est infiniment plus que ce que la technologie des linguistes peut analyser … infiniment plus. Ce qui ne veut pas dire que la technologie du langage ne trouve pas des choses intéressantes …. je le sais parce que je suis linguiste … mais ça ne suffit pas … c’est ça le problème, ça ne suffit pas … Alors, maintenant le problème des arts plastiques, par exemple, eh bien … c’est de voir que les unités ne sont pas des signes … le rouge chez un peintre du XIVe siècle c’est une valeur … ça n’a rien à voir avec le rouge chez un peintre impressionniste ou chez un peintre abstrait … et déjà la notion même de couleur est une abstraction : parce qu’une peinture ce n’est pas simplement une couleur, une forme etc. … c’est beaucoup plus compliqué. Donc, la peinture n’est pas faite de signes … il peut y avoir des signes, par exemple, au cinéma parlant … il y a bien sûr du langage dans le cinéma parlant … mais le langage qui est dans le cinéma parlant : il est un élément d’un ensemble qui est un film et si ce film est de l’art, eh bien, ça déborde la notion de signe.

Donc vous voyez la sémiotique généralisée de l’art dans la mondialisation contemporaine c’est une très grande erreur … voilà. La plupart du temps on ne voit même pas ça comme une erreur. Alors, je trouve ça très drôle, c’est pour ça que, d’une certaine façon, l’ironie peut être un instrument pédagogique … oui, si on fait rire les gens … ça peut aider à leur faire comprendre que jusqu’ici, bien, ils pensaient des bêtises … alors voilà, un deuxième sens pour l’idée de la pensée comme art … et il y a un troisième sens : c’est que ça montre l’importance éthique et politique de l’art dans la société parce que sinon l’art est une chose à part ; prenez le langage des sociologues, par exemple, quand ils parlent d’hédonisme, quand ils critiquent l’individualisme en parlant d’hédonisme …. l’hédonisme « qu’est-ce que c’est » ? Ça consiste à se faire plaisir … c’est une superbe bêtise parce que l’artiste ne vit pas pour se faire plaisir. Van Gogh a vendu un tableau dans toute sa vie, ce n’est pas la même chose que le marché de l’art. Donc, il ne faut pas confondre l’art, l’artiste et le marché de l’art. En plus, ça entraîne d’autres questions et c’est un problème très riche … ce problème de la pensée comme art … ça entraîne à reconnaître l’importance stratégique de l’art dans la société et dans la pensée de la société, c’est-à-dire pour le politique et pour l’éthique et aussi évidemment pour le langage. Je suis sûr que je n’ai tout dit …
[Rire / Applaudissements]

[Diógenes Céspedes prend la parole pour clore la manifestation en invitant le public à continuer à réfléchir sur la poétique meschonnicienne : sur cet art de penser et cette pensée de l’art. Il remercie tous les participants et tout particulièrement il adresse ses remerciements à Henri et Régine Meschonnic, à José Rafael Lantigua, président de la Commission Permanente de la Foire du Livre, et à Pedro Ureña pour avoir traduit en simultané en espagnol le discours de Meschonnic tout au long de la manifestation.]

Transcription par Marcella Leopizzi sous la direction de Diógenes Céspedes

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